O que deu para fazer em matéria de história de amor – excerpt

ELVIRA VIGNA: O QUE DEU PARA FAZER EM MATÉRIA DE HISTÓRIA DE AMOR (Brasil, Ed. Companhia das Letras, 2012); Den kärlekshistoria som gick att få till (Sweden, Tranan, 2016, 240p)

 

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o que deu para fazer em matéria de história de amor – reviews

 

  livoquedeug02

Excerpt (trad. Maria Clara Carneiro ):

 

Une odeur de cigarettes arrive de la table à côté. Je l’aspire. Je ne fume pas, n’ai jamais fumé, si l’on me demandait la raison, je dirais que je n’aime pas la cigarette, on ne me le demande pas, on le sait déjà. Pourtant, j’aime. Et je pourrais m’arrêter par là. Parce que c’est à ça que je pense. À ces histoires qui paraissent une chose et sont une autre. Si je choisis la radicalité, je peux même arriver à un suspense, à l’est-ce que. Par exemple. J’attends Roger. Je connais la chanson. Salut. Salut. Et alors? Ça va. Et quand on aura enfin accédé au post-introït, il parlera du Guarujá. Que je dois aller au Guarujá. Et je vais lui dire que je ne veux pas. Et, pourtant, je le veux. Et je veux parce que j’ai besoin d’ une’histoire. Nous en avons besoin. Je veux dire, pas moi et Roger tout simplement. Mais nous tous. Tout le monde. Un petit joli suspense pour que, une fois résolu, on puisse croire que tout aura été résolu. Et pire. Un petit joli suspense résolu et voilà le ahhh conséquent, même si nous tous – moi et le reste de l’univers – le saurions très bien : il n’y a pas de suspense. Aucun suspense. Adieu les suspenses. Nous le savons, déjà, tout ce qu’il y a à savoir. Avant. Avant qu’il ait lieu, nous le savons déjà. Pas seulement ce qui va barder. Ce n’est pas ce que vi barder. Ça a déjà bardé. Je crois que c’est à cause du post-guerres. Comme ça, au pluriel. Des guerres que ne sont pas tout à fait des guerres, mais des batailles pulvérisées à chaque instant de tous les jours. Et c’est justement cela que je veux/je ne veux pas. Pas tellement le suspense. (Parce qu’il l’a tuéje te le dis carrément), je le dis d’un trait: oui, il l’a tué, au moins, c’est ce que je pense.) Mais revenons à l’histoire. Puisque nous n’avons que de batailles banales, toutes pareilles, il ne nous reste qu’inventer: des points d’intérêt, des palpitations du coeur – et des sens.
Des inventions modestes, il faut le dire. Parce qu’après le nine-eleven des gringos, si cinématographique, tellement, mais tellement, nous devons avoir l’humilité de nous restreindre à des réalisations mineures. Guaraujá, alors.
Des inventions mineures et partielles, je t’en avertis. Des inventions que n’en sont presque pas. Parce que, suite à  de tels super-pouvoirs, e à chaque coin de rue, c’est ce qui nous reste, ce qui marche: raconter, comme si tout n’était qu’une histoire. Même si elle ne l’est pas. Ou presque pas. Me raconter des histoires à moi-même, comme si ce « je » n’était pas moi, comme si j’étaisquelqu’un qui parle des autres.
Dans ce cas-ci, les autres s’appellent Rose, Gunther, Arno.
Les trois pères de Roger.
Au Guarujá, moi allant au Guarujá, comme Roger le veux, je pourrais perfectionner l’histoire que je veux raconter et qui n’est pas à vraie dire une histoire, mais deux. Et où les noms énoncés ne sont pas vraiment ceux-ci, juste similaires. Et, en racontant leur histoire, ce qui me vient à la pensée, c’est que je pourrais, derrière ces noms là, inventés, ou presque, me raconter  moi-même, moi, à qui je ne donnerai pas de nom.
Et ces histoires, la mienne ou celle des autres, c’est bien égal, je ne sais pas comment elles finiront.,Maintenant, quand je commence, je ne sais pas comment terminer, comment je serai, moi, à la fin. C’est mon petit suspense de poche.
Cette fin que ne sais pas que sera-t-elle, quand viendra-t-elle, si viendra-t-elle, elle sera ma paye, ce que j’espère recevoir pour mon séjour là-bas, au Guarujá. Un « là-bas » que oui, je connais. Un appartement fermé depuis longtemps et qui se ruinait même avant d’être fermé. Et dont les prises n’ont jamais su ce qui c’était Internet. Et dans une plage désertique : on est en août, hors saison. Ma paye sera, je l’espère, un point quasi final de mon histoire, la réelle, avec Roger. Et alors, à partir de ce point final, comme un domino à rebours, une fois le point final obtenu, tout le reste se lèvera en ordre, devant moi. Le point quasi final, une fois obtenu, trrrrrrr, un bruit des pièces se levant en ordre, si dans l’ordre, ah, un ordre, séquentiellement, ah, une séquence, jusqu’à la majuscule initiale. Ils resteront là, les petits blocs debout, parfaitement visibles, intelligibles, formant un chemin claire, voyez, ça finit là ; donc, ça commence là. Un sens au grand complet.
Et ce serait un point quasi final, et pas un point final complet, rond, indissoluble, parfait, parce que bien que j'(m’)impose une Rose, un Gunther et un Arno il y a si longtemps disparus, l’histoire ne pourra jamais être à moi seule. Ne pourra jamais être racontée juste que par moi. Mon contrôle sur elle est bien relatif. Il me manquera toujours le complot des autres. L’un : « oui, c’est ça ».
« C’était comme ça ! C’était vraiment comme ça ! »
Je ne peux pas me garantir d’avance telle chose. Me rassurer. Bien que, en effet, je n’invente presque rien. Je peux montrer : là, regarde, la photo. Là, vois, le document. Tout ça est la vérité, je le jure. Roger, par exemple, il n’a jamais accepté mes tentatives précédentes au domino. Je lui ai beau montré : mais viens, pense avec moi.
Je m’abrite sous un avantage, en racontant tout cela. Les histoires sont toujours reçues, aujourd’hui, à mi-ouïe. Tous des malentendants, de façon qu’à peine le récit débuté, ils sont déjà en train de penser à une autre chose. Bien sûr, de l’envie, ils en ont, oui, d’avoir quelques petites vacances de leur vie à eux. Des petites vacances de soi-même, qui ne le souhaiterait pas ? Mais ils entrent (nous entrons) sans croire complètement à quoique ce soit. Ils essaient (nous essayons) un demi-tarif avec notre attention boiteuse à un semi-récit à propos de quoi, vraiment ? Ah, oui, de la vie des autres qui sont peut-être les nôtres. Ils font ça (nous faisons) pour essayer de la récupérer, à distance et en ne faisant pas tellement d’efforts, cette vie là, à eux. Et nous, la nôtre. Mais sans y croire pas trop que ça marchera, en effet. Je le sais. C’est pareil pour moi. Même en s’agissant de vies – celles-ci, les vies racontées – avec un certificat de simplicité, puisqu’elles sont racontées. Présentées phrase après phrase, elles deviennent, les vies, au moins séquentielles, même si pas linéaires. Forcément plus simples que les nôtres, celles que nous avons en effet. Même celle-ci, la mienne. Pas du tout simple. Celle que j’ai, et que, quand le jour finit, je ne la raconte à personne, ni même à moi-même.
Pourtant je ne me plains pas de cette mi-ouïe qui m’attend. Je l’ai dit. C’est un avantage. J’ai besoin de cette mi-ouïe au lieu d’une ouïe-complète, puisque je ne sais même pas comment commencer.
Je peux dire que Roger est en retard. Évidemment. Il l’est toujours. Un début ready-made. Ou je pourrais commencer par les années 1960. Les années 1960 me sonnent mieux. Les années 1960 expliquent toujours plein de choses (malgré le retard de Roger qui pourraient expliquer aussi plein de choses), Les années 1960 expliquent les pétrodollars qui ont surgit comme par magie, ou le début de la dictature militaire brésilienne, cette autre magie, aussi bête. Et c’est de la magie parce que les choses ne débutaient pas, ni duraient ou finissaient, dans cette ordre. La dictature, par exemple, a commencé en 1964, et puis de nouveau en 1968. Et elle a fini sans avoir fini vraiment, si peu à peu que cette fin arrivait. C’est ce que je disais, sur les batailles journalières, anonymes, presque sans exister. Au lieu de guerres.
Et les années 1960 c’est bon aussi à cause de la baise sous la douche.
Il me semble un bon début, des baises sous la douche.
Et celle-ci a été une baise sous la douche tandis que les gens prenaient de la bière au salon, et l’on disait, en chuchotant, mais est-ce qu’ils sont en train de baiser sous la douche ? Ils y sont. Nous y étions. Mais ce n’est pas poli que j’en parle maintenant, d’entrée, de ça, parce que je ne sais pas, à ce moment-ci, comment on pourraient comprendre les choses de cette époque-là. Comment je pourrais les comprendre moi, aujourd’hui. J’ai besoin de les créer, les recréer, pour le savoir ou, mieux, pour croire que je sais.
Qui dira savoir ce que c’est baiser sous la douche tandis que les gens boivent de la bière au salon, au disque d’Elis Regina. Qui dira savoir ce que c’est écouter Elis Regina avec le bras levé et cette tête de conne que, non, pardonnez-moi, mais elle l’avait. Parce que les choses changent.
Les choses ne changent pas. Justement.
Parce que je pourrais raconter l’histoire d’Arno, Rose, Gunther, Roger – et, à petite échelle, de la femme de Gunther – au post-guerre des annés 1940, 1950. De manière identique  je pourrais raconter la mienne, à la première personne, à la fin des années 1960, début des annés 1970, la baise sous la douche, les gens en buvant de la bière au salon. Entre une et l’autre, une vingtaine d’années de différence. Et – je ne trouve pas ici et maintenant, avant de commencer – pas beaucoup d’autres différences. Par exemples, les deux histoires, rien de si bouleversant. Parce que les choses changent, les choses ne changent pas, mais bouleversant n’est définitivement plus une possibilité. Même quand il y aurait de motifs réels. En le racontant, on n’en’a plus. Bouleversant c’est, je l’ai déjà dit, que le nine eleven.
Bouleversant, maintenant, seulement en anglais.
Nous avons perdu le bouleversant, nous. Nosotros.
Même la mer, quand elle monte, le fait tout doucement, ressac à ressac, personne ne se rend pas compte. Et on recommence à reparer les trottoirs. L’appartement de Guarujá n’est pas devant la plage. Juste près. Mais on peut entendre la menace sourde, continue. On pourrait. Personne ne l’entend. On s’y est habitué.

 

 

Excerpt (Lucy Greaves):

A smell of cigarettes comes from the next table. I inhale. I don’t smoke, I’ve never smoked, if anyone asks I don’t like cigarettes, no one asks, they already know. Still, I do like them. And I could stop there. Because that’s what I’m thinking about. About those stories that seem to be one thing and are actually another. If I force it, I’ll get to a moment of suspense, a what if. For example. I’m waiting for Roger. I already know. Hi. Hi. Alright. Yeah, fine. And, when we finally get to the post-introit, he’s going to talk about Guarujá. About me going to Guarujá. And I’m going to say that I don’t want to go. And still, I do want to.
And I want to because I need the story. We do. Not me and Roger, I mean. Not just us. All of us. A sort of suspense so that, once it’s resolved, we think everything’s resolved. Sort-of-suspense resolved and the subsequent ahhh even if we – me and the rest of the universe – are all sure: no suspense at all. Goodbye, suspense. We know everything. In advance. Before it happens we already know. It’s not even a this’ll be a fuck-up. It won’t be. It already is. I think it’s a post-wars thing. Yes, plural. There are no wars anymore, there are atomised battles every moment of every day. And this is what I want/don’t want. No more suspense. (Because it was murder, you see, I say then: it was, that’s what I think.) Time for the story. Since, when there’s nothing more than identical everyday battles, all that’s left is to invent: interests, palpitations – and meanings.
Modest inventions, you ought to know that. Because after the Yanks’ 9/11, so very, oh so cinematographic, we must have the humility to retreat to lesser productions. Guarujá, then.
Lesser, partial productions, I’m warning you. These are almost non-inventions. Because after so many superpowers, one in every corner, this is what works: just recounting, as if it were a story. Even when it isn’t. Or almost isn’t. Recounting myself, as if I’m not me, like someone talking about others.
In this case, the others are Rose, Gunther, Arno.
Roger’s three parents.
In Guarujá, if I go to Guarujá, as Roger would like, I could perfect the story that I want to recount and which isn’t one story, but two. And with names that aren’t exactly these, just similar. And, recounting them, what comes after these names might just manage to recount me, this me who I’m not going to name.
I don’t know the end. At the beginning, I don’t know how I end, how I’ll end up. It’s my own personal suspense.
This unknown ending, when it comes, if it comes, will be my payment, the payment I expect to receive for my stay there. The ‘there’ which, yes, is familiar. An apartment that’s been shut a long time, and was falling to pieces even before it was shut. And whose sockets have never known what the internet is. And on an empty beach: it’s August. My payment will be, I hope, an almost full-stop in my story, the real one, with Roger. Then, beyond that almost full-stop, like dominoes tumbling in reverse, once we’ve achieved that almost full-stop, everything will rise up neatly in front of me. Once the almost full-stop is achieved, trrrrrrrr, comes a noise of pieces rising up, in order, very much in order, ah, an order, sequentially, ah, a sequence, along to the first capital letter. Those little blocks will stay there, upright, perfectly visible, intelligible, forming a clear path, just look, it ends here, so it starts there. Making complete sense.
And it’s an almost full-stop, not a whole, round, insoluble, perfect full-stop, because the story, as much as I impose (on myself) a Rose, a Gunther and an Arno, or a long-lost version of them, will never just be mine. Just recounted by me. My control over it is highly relative. Because I’ll always lack the collusion of others. A “that’s it.”
“That’s it! That’s exactly how it was!”
There’s no way I can get a thing like that in advance. To give myself a guarantee. However much I’m not in fact inventing. And not showing: hey, look, the photo. Look, here, the document. It’s true. I swear. Roger, for example, never accepted my previous domino attempts. Though I’d showed him: come here, think with me.
I hide behind an advantage, that of recounting. Stories are always received, today, with half an ear. Everyone half listens and, as soon as the story begins, they’re thinking of something else. Of course, they want a short holiday from their lives, yes, they do. A short holiday from oneself, who doesn’t want that? But they enter (we enter) without believing much in anything. They attempt (we attempt) a half entry with our half-mast attention into a seminarrative about what, exactly? Ah, yes, other people’s lives that could be our own. They do that (we do), at a distance and without putting in much effort, to try and recapture life. Our life. But without really believing that it’s actually going to work. I know. It’s the same for me. Even when dealing with lives – these ones, the ones I’m recounting – that are certifiably simple, because they recount one another. These lives, presented phrase after phrase, remain, if not linear, then at least sequential. Necessarily simpler than the ones we actually have. Including this one here. Not simple in the slightest. And this is the one I actually have, all day, even when I don’t recount it, not even to myself.
I’m not complaining about the half an ear that awaits me. I already said. It’s an advantage. I need that half an ear instead of whole ears, because I don’t even know how
to begin.
I could say that Roger is late. Of course. He always is. A ready-made beginning.
Or I could start with the sixties. The sixties seem better. The sixties explain a lot of things (although Roger being late also explains a lot of things). The sixties explain the petrodollars that appear as if by magic, the start of the military regime, that other, far more stupid magic. And it’s magic because things no longer just began, went on and ended. The regime, for example, started in ’64 and then again in ’68. And it ended without ending, inching out. It’s like I was saying, daily, anonymous, almost inexistent battles. Instead of wars.
The sixties are also good because of the shag in the shower.
That seems like a good beginning, shags in the shower.
And this was a shag in the shower while people were drinking beer in the living room, and saying to one another under their breath, giggling, do you think they’re shagging in the shower? They are. We were. But it’s not even right for me to talk about this now, straight away, because I don’t know yet, just now, how these things from back then might be understood. How I can understand them, myself, today. I need to create them, recreate them, to know or, rather, to think I know.
Who can possibly say what it’s like to shag in the shower while people are drinking beer in the living room, listening to an Elis Regina record. Who can possibly say what it’s like to listen to Elis Regina, with her arm raised and that face like a children’s party performer that seriously, but no offence, she did have. Because things change.
Things don’t change. Precisely.
Because I could tell the story of Arno, Rose, Gunther, Roger – and, to a lesser degree, Gunther’s wife – in the post-war period of the forties, the fifties. I could tell my story, in the first person, in the late sixties, the early seventies, the shag in the shower, people drinking beer in the living room. Between one and the other, some twenty years’ difference. And – now I think of it, before I begin – few other differences. For example, in both stories, nothing all that overblown. Because things change, things don’t change, but overblown is definitely no longer a possibility. Even when it was. When we recount it, we no longer have it. Overblown, like I already said, is 9/11. Overblown, now, is only in the US.
The rest of us lost that sense of the overblown.
Even the tide, when it comes in, does so slowly, wave by wave, no one notices it. And they patch up the pavement again. The apartment in Guarujá doesn’t look onto the beach. It’s nearby, that’s all. But you can hear the dull, continuous threat. You could. No one listens. They’re used to it.